UNE FORME TRADITIONNELLE POUR UN MONUMENT AUX MORTS : LE PYLÔNE

Pilone - vue générale

Le monument de Gentilly est d'une structure traditionnelle pour un monument aux morts : il comporte un pylône (ou un obélisque), ici surmonté d'un coq gaulois. Les angles du pylône sont ornés de palmes qui symbolisent et rappellent le martyr des soldats morts au front. Ce motif fait écho au dépôt, le 1er novembre suivant l'inauguration, par la municipalité et le conseil municipal, de palmes sur le tombeau des soldats au cimetière communal.

Chacune des faces du 
pylône est gravée en son sommet du nom de l'une des quatre grandes batailles de la Grande Guerre : bataille de la Marne (face avant du monument), bataille de l'Yser, bataille de la Somme, bataille de Verdun.
Les noms des soldats tombés au front sont gravés sur les quatre côtés du monument, entouré de bornes chaînées.

La question de la mémoire des noms des soldats morts au front était particulièrement d'actualité au lendemain de la Grande Guerre, avec la loi du 25 octobre 1919 pour la Commémoration et la glorification des "morts pour la France" de la Grande Guerre qui prévoyait notamment que des registres contenant les noms des soldats français tombés au combat soient établis par les communes et conservés au Panthéon, projet qui ne verra jamais le jour. C'est cette loi qui disposa que des subventions soient accordées aux communes "en vue de glorifier les héros morts pour la patrie".
Ce registre
des noms des morts de la Grande Guerre, on peut le voir, à l'air libre, sur le monument de Gentilly. Dans les années 1960 on ajouta les noms des Gentilléens morts pendant la Seconde Guerre Mondiale et la guerre d'Algérie.
Projet non retenu pour le monument de Gentilly
Projet non retenu pour le monument
aux morts de Gentilly

Monument aux morts de Logmalo (Bretagne)
Monument aux morts de Logmalo (Bretagne)
Monument aux morts de l'Ile Saint Denis
Monument aux morts de l'Ile Saint-Denis



LE COQ GAULOIS, SYMBOLE DE LA PATRIE


Coq gaulois

Le coq gaulois, symbole de la France, se tient au sommet du monument, sa crête et son panache de plumes fièrement levés, des feuilles de laurier entre ses pattes.

L'auteur romain des Ier-IIe siècles, Suétone, dans la Vie des Douze Césars, avait fait remarquer qu'en latin, "coq" et "gaulois" se disaient tous deux "gallus". Les ennemis de la France reprirent ce calembour dans le courant de l'époque médiévale pour signifier que le peuple de France serait aussi orgueilleux que son symbole.

Utilisé dès l'époque médiévale, le coq en tant que symbole de la France devint particulièrement prisé à la Révolution, luttant contre les symboles de la royauté, le lion et l'aigle. Au dos de certaines monnaies Françaises de 20 francs or en 1914.

Monument aux morts de Massat (Midi-Pyrénées)
Monument aux morts de Massat (Midi-Pyrénées)
Le symbole du coq, par son traitement, contribue lui aussi à la construction ud message que le monument tout entier doit transmettre.

La posture statique du coq de Gentilly, pattes bien posées à plat du le globe de métal, les ailes reposant sur ses flancs, tranche avec celle du coq du monument de Morlancourt (Somme), dressé sur ses ergots, les ailes legèrement ouvertes comme dnas le monument de Massat, le bec largement ouvert pour chanter. Un coq guerrier dont le chant fier doit se traduire sur le champ de bataille par l'ardeur des soldats au combat.

Avec son port calme et noble, le coq gentilléen n'exprime pas, par son chant, l'ardeur guerrière, mais il symbolise plutôt une France victorieuse et consciente du tribut qu'il fallut payer pour remporter celle-ci.

Monument aux morts de Morlancourt (Somme)
Monument aux morts de Morlancourt (Somme)


LA VEUVE ET DE L'ORPHELIN : ENTRE PACIFISME ET PATRIOTISME

Veuve et orphelin - vue générale

Le monument est orné sur sa face avant d'un groupe sculpté qui distingue d'emblée le monument de Gentilly par rapport aux autres monuments réalisés pour la Grande Guerre. La femme est représentée en costume d’époque, la tête couverte d'un fichu laissant voir quelques mèches de ses cheveux, les traits individualisés et marqués d'une expression grave. Cette femme, figure ouvrière typique des habitants de Gentilly à l'époque de la Grande Guerre, ne peut être confondue avec une allégorie, idéalisée, de la patrie ou de la victoire, qui auraient été figurées drapées et accompagnées d'attributs permettant de les identifier. Par ailleurs, elle est accompagnée d'un jeune garçon, son fils, lui aussi en costume d'époque.


La femme lève le bras, index tendu, vers le haut, et l’on peut se demander dans un premier temps ce que pointe ce doigt : le nom du père mort au champ de bataille, ou bien le coq gaulois, symbole de la France libre grâce au sacrifice des soldats ? L’expression triste et résignée de la femme explicite bien la signification de la scène : paupières mi-closes, le bras entourant les épaules de son jeune fils, c’est bien le nom du père disparu que désigne le doigt.

Un appel à la mémoire que l’enfant, figure pour laquelle posa un petit Gentilléen d'une dizaine d'années du nom de Colbert Pierrard, semble comprendre pleinement malgré son jeune âge. Vêtu de culottes courtes et d'une chemise simple, l'enfant a enlevé son chapeau qu'il tient dans sa main baissée.

Un message particulièrement approprié à l’implantation du monument dans la ville, puisque l’exemple de cet enfant en culottes courtes devait toucher tout particulièrement les jeunes enfants de l’école municipale dont les portes donnaient sur la place du monument.

Le thème de la veuve et de l’enfant dans les monuments aux morts de la Grande Guerre est relativement limité. La veuve cède le plus souvent la place à des allégories féminines telles que la victoire ou la patrie ; quand elle est représentée seule, il est souvent difficile de la distinguer des soeurs parmi les figures de pleureuses des monuments.

L'image de l'enfant dans les monuments aux morts de la Grande Guerre n'est guère plus courante ; sa présence est par conséquent d'autant plus significative.

Monument aux morts de Seilh (Midi-Pyrénées)
A Orbigny (Indre et Loire) par exemple, c’est une enfant reconnaissante qui accueille le soldat victorieux avec une gerbe de fleurs, participant à la célébration de la victoire de la France. Une petite fille qui à elle seule incarne la douceur de la paix retrouvée.

Monument aux morts de Seilh (Midi-Pyrénées)
Ailleurs, comme à Seilh (Midi-Pyrénées), c’est aussi une petite fille qui porte des fleurs, le visage grave, sur la tombe d’un soldat.

Monument aux morts de Gallargues (Gard)Monument de Gallargues (Gard) Monument aux morts pacifiste de GentiouxMonument de Gentioux (Creuse) Représentant devant un pylône une veuve et son  enfant, le monument de Gallargues (Gard) est thématiquement proche de celui de Gentilly. Le chagrin de la mère est souligné de manière théâtrale par le regard qu'elle lève au ciel. Le tragique de la perte est accentué par la jeunesse et l'innocence de l'enfant, serrant dans ses bras son petit chien. Ici, c'est plus la douleur de la perte que traduit la sculpture, l'injustice d'une guerre qui a privé tant de femmes et d'enfants d'un époux et d'un père.

Le monument de Gallargues se rapproche des
monuments ouvertement pacifistes qui se sont développés au lendemain de la Grande Guerre. Les horreurs de celle-ci ont fortement mis à mal l'image positive de la guerre, qui glorifiait la victoire et faisait de la défaite une occasion pour le héros de montrer sa bravoure face à un ennemi nécessairement cruel ou fourbe. Prenant le contrepied de cette imagerie partisane, ces monuments jouent eux aussi d'images fortes et orientées, comme le monument de Gentioux. Un garçon, vêtu d'une blouse d'écolier et tenant, comme l'enfant de Gentilly, son chapeau à la main, y tend un poing rageur vers le dernier mot de l'inscription "Maudite soit la guerre". Ici, l'enfant qui sera un jour un homme a tiré dès le plus jeune âge les leçons de la Grande Guerre et nourrit contre la guerre une haine violente. 






LE MONUMENT AUX MORTS DE GENTILLY, UN SUBTIL EQUILIBRE
Le monument de Gentilly fait-il partie de l'ensemble des monuments anti-guerre ?
La tristesse de la veuve et de l'orphelin de Gentilly semble plaider pour une réponse positive. Cependant, la dignité résignée de l'un et de l'autre, l'appel à la mémoire du nom du soldat, la présence du coq gaulois et la dédicace initiale ("La Ville de Gentilly à ses glorieux enfants morts pour la France") appellent une interprétation plus mesurée, entre pacifisme et patriotisme. Pour reprendre les mots de Mr Gratien, le maire de l'époque, les générations futures, au contact de ce monument, "apprendront [...] le culte de la reconnaissance, la fidélité du souvenir et l'amour de la paix", et devront s'acquitter en souvenir des soldats tombés au front d'un "devoir sacré d'union et de concorde", un "idéal fraternel et républicain".

Coq gaulois La main de la veuve Le nom du mort
Que montre ce doigt ? Le geste de la veuve porte à lui seul la signification du monument tout entier. Le discours du maire de l'époque, Mr Gratien, est affirmatif : la veuve "montre à l'orphelin le nom du cher disparu, père martyre, et l'enfant songe aux horribles conséquences des batailles...".
Le message semble clair, cependant, par un jeu formel voulu ou non, le doigt de la femme pointant vers le haut semble aussi vouloir désigner le sommet au monument, où se trouve le coq gaulois. L'ambiguité du geste traduit bien le double message, pacifiste et patriotique, de l'ensemble du monument. C'est un appel au respect et au dévouement envers la patrie, en même temps qu'un symbole subtil de la horreur de la guerre et de l'amour de la paix bienfaisante.

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