La veuve et l'orphelin

Veuve et orphelin - vue générale

Le monument est orné sur sa face avant d'un groupe sculpté qui distingue d'emblée le monument de Gentilly par rapport aux autres monuments réalisés pour la Grande Guerre. La femme est représentée en costume d’époque, la tête couverte d'un fichu laissant voir quelques mèches de ses cheveux, les traits individualisés et marqués d'une expression grave. Cette femme, figure ouvrière typique des habitants de Gentilly à l'époque de la Grande Guerre, ne peut être confondue avec une allégorie, idéalisée, de la patrie ou de la victoire, qui auraient été figurées drapées et accompagnées d'attributs permettant de les identifier. Par ailleurs, elle est accompagnée d'un jeune garçon, son fils, lui aussi en costume d'époque.


La femme lève le bras, index tendu, vers le haut, et l’on peut se demander dans un premier temps ce que pointe ce doigt : le nom du père mort au champ de bataille, ou bien le coq gaulois, symbole de la France libre grâce au sacrifice des soldats ? L’expression triste et résignée de la femme explicite bien la signification de la scène : paupières mi-closes, le bras entourant les épaules de son jeune fils, c’est bien le nom du père disparu que désigne le doigt.

Un appel à la mémoire que l’enfant, figure pour laquelle posa un petit Gentilléen d'une dizaine d'années du nom de Colbert Pierrard, semble comprendre pleinement malgré son jeune âge. Vêtu de culottes courtes et d'une chemise simple, l'enfant a enlevé son chapeau qu'il tient dans sa main baissée.

Un message particulièrement approprié à l’implantation du monument dans la ville, puisque l’exemple de cet enfant en culottes courtes devait toucher tout particulièrement les jeunes enfants de l’école municipale dont les portes donnaient sur la place du monument.

Le thème de la veuve et de l’enfant dans les monuments aux morts de la Grande Guerre est relativement limité. La veuve cède le plus souvent la place à des allégories féminines telles que la victoire ou la patrie ; quand elle est représentée seule, il est souvent difficile de la distinguer des soeurs parmi les figures de pleureuses des monuments.

L'image de l'enfant dans les monuments aux morts de la Grande Guerre n'est guère plus courante ; sa présence est par conséquent d'autant plus significative.

Monument aux morts de Seilh (Midi-Pyrénées)
A Orbigny (Indre et Loire) par exemple, c’est une enfant reconnaissante qui accueille le soldat victorieux avec une gerbe de fleurs, participant à la célébration de la victoire de la France. Une petite fille qui à elle seule incarne la douceur de la paix retrouvée.

Monument aux morts de Seilh (Midi-Pyrénées)
Ailleurs, comme à Seilh (Midi-Pyrénées), c’est aussi une petite fille qui porte des fleurs, le visage grave, sur la tombe d’un soldat.
Monument aux morts de Gallargues (Gard)Monument de Gallargues (Gard)Monument aux morts pacifiste de GentiouxMonument de Gentioux (Creuse)Représentant devant un pylône une veuve et son  enfant, le monument de Gallargues (Gard) est thématiquement proche de celui de Gentilly. Le chagrin de la mère est souligné de manière théâtrale par le regard qu'elle lève au ciel. Le tragique de la perte est accentué par la jeunesse et l'innocence de l'enfant, serrant dans ses bras son petit chien. Ici, c'est plus la douleur de la perte que traduit la sculpture, l'injustice d'une guerre qui a privé tant de femmes et d'enfants d'un époux et d'un père.

Le monument de Gallargues se rapproche des
monuments ouvertement pacifistes qui se sont développés au lendemain de la Grande Guerre. Les horreurs de celle-ci ont fortement mis à mal l'image positive de la guerre, qui glorifiait la victoire et faisait de la défaite une occasion pour le héros de montrer sa bravoure face à un ennemi nécessairement cruel ou fourbe. Prenant le contrepied de cette imagerie partisane, ces monuments jouent eux aussi d'images fortes et orientées, comme le monument de Gentioux. Un garçon, vêtu d'une blouse d'écolier et tenant, comme l'enfant de Gentilly, son chapeau à la main, y tend un poing rageur vers le dernier mot de l'inscription "Maudite soit la guerre". Ici, l'enfant qui sera un jour un homme a tiré dès le plus jeune âge les leçons de la Grande Guerre et nourrit contre la guerre une haine violente. 





Le monument de Gentilly fait-il partie de l'ensemble des monuments anti-guerre ?
La tristesse de la veuve et de l'orphelin de Gentilly semble plaider pour une réponse positive. Cependant, la dignité résignée de l'un et de l'autre, l'appel à la mémoire du nom du soldat, la présence du coq gaulois et la dédicace initiale ("La Ville de Gentilly à ses glorieux enfants morts pour la France") appellent une interprétation plus mesurée, entre pacifisme et patriotisme.

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